Le papillon de l\'espoir

Le papillon de l\'espoir

L'absence




La perte de l'aimé(e) est cruellement ressentie car tout manque : la complicité, l'intimité partagée, l'évocation ensemble des souvenirs,  ses mimiques, son regard,  sa présence rassurante et protectrice... L'absence est trop longue, infiniment longue. Les heures n'en finissent pas. Les jours s'écoulent les uns après les autres, semblables, sans lu...i ou sans elle. Au plus le temps passe ainsi, au plus l'absence se fait déchirure. La personne erre entre ses quatre murs, ne sachant que faire de son désespoir. Elle se surprend à appeler le (la) disparu(e), à supplier qu'on le lui (la) rende, à crier à l'aide tant les émotions la débordent. Elle sait que c'est absurde mais elle explose.

 Tout prend une autre importance. Elle voudrait pouvoir revenir en arrière, effacer certains épisodes et recommencer autrement mais c'est trop tard, tout est écrit, définitivement. Pourtant elle passe et repasse en revue les derniers instants, les dernières semaines, toute leur histoire commune et se culpabilise des actes ou des paroles qu'elle n'a pas posés et qui auraient pu changer le destin. Rien n'est moins sûr. Toutes les pensées convergent vers le (la) défunt(e) aussi par peur de l'oublier. Les vêtements de l'autre sont respirés pour retrouver son odeur. Son visage est appelé dans la mémoire pour vérifier que les expressions préférées sont toujours là... Ainsi, à pas de fourmi, imperceptiblement, la relation est reconstruite à l'intérieur à l'intérieur de soi.

La douleur de la perte est immense depuis des mois. De semaine en semaine, elle semble même croître, laissant à la personne la sensation que cela ne peut pas être pire et pourtant l'étau se ressert, de jour en jour, encore et encore. On lui dit que cela va passer avec le temps mais c'est tout le contraire : cela empire ! Faire ce constat est affolant. Au chagrin se mêle la peur de devenir folle ou fou.

Aucun répit, sauf celui du sommeil grâce aux somnifères souvent, quelques heures, deux ou trois, rarement plus. L'inconscient n'assimile pas le changement avant un long moment et les rêves continuent à mettre en scène l'être disparu comme si rien ne s'était passé. Le réveil est régulièrement tragique. Il confronte l'endeuillé(e) avec l'épouvante du vide. Les lieux sont hantés, animés des souvenirs douloureux depuis qu'il ou qu'elle n'est plus là. Les bruits familiers, comme par exemple une voiture qui entre dans la cour, un appel téléphonique, un bruit dans le jardin, etc. raniment l'espoir fou d'un retour. En une fraction de seconde, la personne se dit que c'est son fils qui rentre, sa fille qui téléphone, son conjoint qui est occupé à jardiner, etc. "On ne sait jamais !" L'endeuillé(e) frôle la déraison mais, à chaque fois, la déconvenue et l'obligation de se confronter à la réalité.

La souffrance est telle que la tentation du suicide est grande. Songer à se tuer peut être le dernier rempart à la folie car se raccrocher à la perspective de mettre fin au calvaire procure en quelque sorte un soulagement. Se dire qu'on peut toujours en terminer permet de tenir une heure de plus, un jour de plus. Paradoxalement, le fantasme de mourir soi-même aide à survivre au plus dur de l'épreuve. Pendant cette période, la personne est sur le fil du rasoir car le danger d'un passage à l'acte n'est jamais à exclure. Il est même quelques fois bien réel et contrairement aux idées reçues, ce n'est pas parce que la personne en parle qu'elle ne le fera pas.

La personne endeuillée mène un véritable combat pour continuer à vivre alors qu'elle se sent morte à l'intérieur d'elle-même (l'extrait du livre "Passion" de Ch. Singer, qui dépeint le délabrement psychique suite à la perte), que l'existence a perdu tout son sens, absorbé lui-aussi dans la tombe, et que la douleur est à hurler. Elle est mal, tellement mal dans cette enveloppe charnelle qui la retient sur terre. Elle a la sensation d'être condamnée à vivre. Elle a déjà tant pleuré mais les larmes jaillissent sans cesse, partout, inconvenantes. Le chagrin n'a même pas la pudeur de ne pas se déverser en public. Honteuse de ne pas pouvoir se contenir, la personne se terre chez elle. Quand elle réussit à faire bonne figure, c'est au prix d'une dépense énergétique considérable qui l'épuise. Elle ne tient d'ailleurs pas très longtemps et dès qu'elle se retrouve seule, elle craque de plus belle, terrassée par les émotions qui n'en peuvent plus d'être retenues. Elle désespère de sortir de cet enfer. Elle a l'impression qu'elle va mourir de chagrin. Les proches, de peur de réveiller la souffrance, se retiennent de parler du défunt. C'est une erreur. D'une part, la personne en deuil peut craindre que le défunt soit trop vite oublié et il lui est précieux d'entendre que ce n'est pas le cas. D'autre part, pour traverser l'épreuve, elle a besoin d'user la douleur, de vider les souvenirs de leurs émotions et pour ce faire de se confier.

 

extrait d'un texte d'Isabelle LEVERT 



22/07/2014
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